Bouteflika Président (suite 10)

Publié le par lydia

L’effet du 11 septembre 2001 :

 

            Le drame qui a frappé les Etats Unis d’Amérique le 11septembre 2001 à engendré de nouvelles donnes mondiales concernant la lutte contre le terrorisme. Le président américain a été le premier à retourner ce drame au profit de sa politique. Sonnant le glas du terrorisme international, il invite tout le monde à le rejoindre dans la guerre sans merci qu’il se préparait à déclarer à tous ceux qu’il soupçonnait nourrir ou avoir des liens avec les réseaux d’Al-Qaïda. Il ne donne en tout cas aucun choix aux pays auxquels il s’adresse en déclarant « soit vous êtes avec nous, soit vous êtes avec les terroristes ». Cette vision manichéenne des choses, la communauté européenne en a payé les frais trop cher ; on s’est très bien le séisme politique et les divisions que cette question a engendré au sein de cette union qu’on croyait soudée à jamais. 

 

            Pour ce qui est de notre pays, le pouvoir en place a su tirer lui aussi profit de cette situation. La porte ouverte par les USA au nom de la lutte contre le terrorisme à ouvert grande la voie à tous les dérapages et à l’impunité la plus totale. Qui osera désormais demander des comptes aux autorités algériennes puisque elles aussi luttent contre le terrorisme? Le président Bouteflika en a même trouvé là une aubaine pour bomber le torse et rendre soit-disant la balle à ceux qui ont toujours exigé que la lumière soit faite sur les massacres commis en Algérie et accusant même les militaires algériens d’être derrière certains massacres de civils. Le 21 janvier 2002, lors du séminaire sur le développement en Afrique organisé au Palais des Nations à Alger, il dit que « les attentats qui ont frappé New York et Washington le 11 septembre dernier ont fait découvrir à la communauté internationale les dimensions d’une tragédie que l’Algérie a vécu pendant plus de 10 ans (…) Notre détermination à poursuivre jusqu’à son terme notre lutte contre le terrorisme va de pair avec notre souci de ramener la paix(…) l’adhésion massive du peuple algérien à cet effort de concorde nationale est un encouragement pour la poursuite de cette politique qui n’a pas produit tous ses effets, mais qui représente une chance unique pour les Algériens de retrouver une vie normale et pour notre jeunesse de croire en leur avenir et en celui du pays », c’est aussi l’occasion pour lui de vanter sa politique de concorde civile et laisse entendre que, mieux que le radicalisme américain, il offre à son peuple la chance de la réconciliation. « Il y a quelques années, dit-il, on nous cataloguait entre « réconciliateurs » et « éradicateurs ». Aujourd’hui, je pense qu’après ce qui s’est passé à New York et à Washington, il est clair que le référendum populaire qui a consacré la concorde civile en Algérie a donné ses fruits en Algérie. Celui qui veut le bien de ce pays sait désormais quelle voie il faut prendre, et celui qui veut imposer à la République un autre modèle sait aussi quelle est notre voie et notre politique ».

 

Réponses des islamistes au président

 

            D’anciens chefs islamistes qui ont accès à tous les moyens de communications, y compris le privilège d’être interviewé par la presse et les télévisions, ont apporté quelques réponses et mises au point à certaines déclarations de Bouteflika et par rapport à sa politique de concorde civile.

 

            Profitant de l’ouverture du débat sur les droits de l’Homme et la question des disparitions forcées au sein de l’ONU, trois dirigeants de l’ex FIS, Kamel Guemazi, Omar Abdelkader et Ali Djedi en l’occurrence, signent un communiqué commun en date du 24 mars 2000. La politique de concorde civile prônée par Bouteflika est critiquée et celui-ci est interpellé en ces termes: « Avez-vous une concorde qui ne panse pas les blessures et qui ne fait pas cas des victimes ? Quelle est cette concorde qui ne règle pas les problèmes politiques et l’équité ? Voici des mois qui sont passés sans que du nouveau se soit produit. L’Aid a eu lieu sans qu’un seul prisonnier politique ait été libéré. (…) Au moment où le discours officiel parle de concorde et de paix, des prisonniers politiques souffrent encore de la faim et des tortures morales et physiques… Les familles de disparus cherchent encore les leurs... jusqu’à quand Abassi Madani et Ali Benhadj vont-ils rester emprisonnés ? ». Ce communiqué qui vient cinq mois après que le président ait déclaré, le 07-11-1999 sur les ondes d’ « Europe 1 » : «j’ai traité les aspects idéologiques et politiques de la violence depuis mon arrivée au pouvoir. Ils sont en cours de traitement… », ce communiqué donc vient confirmer l’absence de volonté réelle chez le pouvoir de traiter un problème politique politiquement. Et en ce qui est de la question des disparus, le président a déjà donné son avis il y a une année jour pour jour, avant ce communiqué. C’était le 23 mars 1999, lors de sa participation à l’émission « Alternance » de L’ENTV, où il a tenu ces propos : « C’est une question que je connais moi-même. Mon neveu a disparu en 1987, et nous n’avons aucune nouvelle de lui depuis. Son véhicule et ses pièces d’identité ont  été retrouvées un peu plus tard. » Une façon de dire que la question des disparus a commencé bien avant l’histoire du FIS et l’arrêt du processus électoral. Derrière ces propos, on peut aussi comprendre qu’il invite les familles de disparus à renoncer à leur combat, car c’est un combat perdu d’avance.

 

            Ali Benhadjar, l’émir de la Ligue pour la Daâwa et le Djihad (LIDD), chef du groupe qui a semé la mort durant des années à Médéa, déclare sur un ton de menace lors de son passage sur France 2, que : «  Si nos exigences ne sont pas satisfaites, je crains que d’autres éléments reprennent le maquis. »(Le Matin du 20/12/2000, p.4). Une menace pour les partisans de la « concorde civile » qui ne conforte pas le président dans sa déclaration du 23 août 1999 à Rimini ( Italie), lorsqu’il a dit :« les bénéficiaires de la loi doivent faire la preuve qu’ils ont définitivement renoncé à la violence. » et que « la loi ne comporte ni compromis ni compromission de l’Etat. » De quelles exigences parlait donc Benhadjar? Selon le journal arabophone Echark El Awsat qui paraît à Londres, l’accord signé entre l’armée et l’AIS, contient 14 points, une information reprise par la suite par la presse algérienne sans qu’elle soit démentie.

 

 Ahmed Benaicha, l’ex émir de la région Ouest de l’AIS, nous éclaire, lui, sur un point de l’accord. Il dit en substance dans une interview accordée au quotidien national La Tribune le 06 novembre 2000: « Pour le reste, l’ouverture du champ politique, nous espérons qu’il se concrétisera prochainement comme prévu. » est-ce là une façon de dire au président qui a déclaré - toujours à Rimini - que « la loi les prive du droit de créer un parti ou d’être élus pendant un certain temps. », que ce « temps » est déjà expiré ?

 

Quelques  avis  sur Bouteflika

 

 

Amnesty International est la concorde civile

 

Le lundi 15 mai 2000, la délégation d’Amnesty International conduite par le canadien  Roger Clark et qui a séjourné en Algérie du 2 au 14 mai 2000, rend public un communiqué dans lequel elle déclare que « l’amnistie accordée par Bouteflika à un nombre non divulgué des membres de l’AIS (Armée Islamique du Salut) et d’autres groupes sur la base d’un accord secret, soulève de graves problèmes. » Selon cette organisation, cette loi a permis à « des individus responsables de meurtres, de viols et d’autres crimes de bénéficier de l’impunité. » comme elle a jugé aussi qu’ « une paix durable ne peut se construire au détriment de la vérité et de la justice ni reposer sur l’impunité, qu’elle soit accordée aux membres des services de sécurité ou aux groupes armés ». Alors, la nécessité de l’ouverture en « urgence » d’une enquête approfondie, impartiale et indépendante; de rendre les résultats publics et de traduire tous les responsables d’exactions devant la justice, devient la seule condition pour le rétablissement de la paix.

 

Belaid Abdesselam : ancien premier ministre

 

            Dans une conférence de presse animée le 18 février 1999, Belaid Abdesselam avait déclaré : « En attendant , je demande à ces gens de retirer leur candidat fantoche (Bouteflika, NdA). Je n’ai rien contre lui personnellement. C’est même un ami de longue date. Mais hélas il est devenu le symbole de la défection de notre Etat ».

 

Lahouari Addi : professeur de sociologie à l’institut d’études politiques de Lyon, France

 

 

« Pour comprendre les convictions politiques de Bouteflika, il faut d’abord rappeler son itinéraire. A l’âge de 17 ans, alors élève en première, il rejoint le maquis et fini en 61-62 avec le grade de commandant de l’ALN. C’est un produit du FLN, avec ses grandeurs nationalistes et ses limites idéologiques. (…) Cette génération de militants est insensible à la démocratie, au droit, aux libertés publiques, au respect de l’individu. Leur culture politique se réduit aux masses populaires, à la nation, au groupe…dans lesquels l’individu en chair et en os est une quantité négligeable. Cette culture politique, marquée par les nécessités de la lutte anticoloniale, repose sur la force, la ruse, la violence, et se structure autour d’intérêts idéologiques de la collectivité nationale. Dans cet ordonnancement, le respect des individus, les libertés n’existent pas. Ou bien s’ils existent, c’est uniquement sous forme de propagande à destination de l’étranger. (…) Si, pour sauver le régime qui s’identifie à la nation à travers l’armée, il fallait tuer des centaines de milliers d’Algériens, ce sera fait sans remords et assumé comme un devoir national !…Nous comprenons pourquoi le président Bouteflika, à la tribune de l’ONU, a critiqué les ONG de défense  des droits de l’Homme et fustigé le droit d’ingérence humanitaire accusé de limiter la souveraineté nationale. Entendez le droit de vie et de mort du régime sur les administrés contestataires. Cela prouve que Bouteflika n’a pas politiquement évolué après avoir quitté le pouvoir en 1978. Pour lui, l’histoire s’était arrêtée à cette date… » (Libre Algérie, du 25 oct. –07 nov. 1999)

 

           

 

Mohamed Harbi : historien

 

 

QO : Quel regard portez-vous sur le président Bouteflika ?

 

M. Harbi : «  Un regard extrêmement distant. Je pense qu’il avait quelques projets, mais la situation dont il a hérité est une situation extrêmement chaotique dont il ne maîtrise pas tous les éléments, et je pense que lui-même a un style de gouvernement qui rend les choses encore  plus difficiles.

 

QO : Dirais-tu qu’il n’a pas encore trouvé sa ligne ?

 

M. H. : « Il est très personnel. Ce n’est pas simplement parce qu’il n’a pas trouvé sa ligne. Il a une façon de faire qui ne facilite pas les alliances et les regroupements. »

 

QO : On dit qu’il est caractériel.

 

M.H. : « Caractériel, je ne sais pas, parce qu’il sait aussi faire le dos rond, il l’a fait pendant longtemps. Pendant les 14 ans où il a été dans l’opposition, il ne s’est jamais exprimé sur les problèmes de son pays. » (Le Quotidien d’Oran du 01-11-2001)

 

 

Rachid Benyelès : général à la retraite

 

 

« Deux années après la farce électorale d’avril 1999 marquée par le retrait fracassant de six des sept n à la Présidence et le parachutage au sommet de l’Etat d’un homme qui n’allait pas tarder à révéler sa véritable dimension, les Algériens n’en finissent pas de payer les conséquences d’un choix qu’ils n’ont pas fait. Au cours de ces deux années, Bouteflika aura consacré l’essentiel de son temps à ergoter et à voyager aux quatre coins de la planète en se livrant à une gesticulation diplomatique dont il est seul à connaître la signification. En pure perte puisqu’il ne parviendra ni à convaincre ses interlocuteurs étrangers de la bonne santé retrouvée de l’Algérie ni à réaliser son rêve de se faire admettre dans la cour des grands. Les investisseurs, y compris ceux du Golf qu’il disait  n’attendre qu’un signal de sa part pour venir déverser leurs milliards de dollars, ne sont toujours pas au rendez-vous et les grandes compagnies aériennes européennes refusent toujours de reprendre leurs anciennes dessertes. (…) Depuis  son accession au pouvoir, la situation du pays n’a cessé de se dégrader. La violence, qui avait commencé à reculer grâce à la mobilisation de la population au lendemain des massacres collectifs de l’automne 1997, a repris de plus bel depuis l’entrée en vigueur de la loi sur la concorde civile qui a réhabilité tous les repentis quelles que soient leurs activités passées.(…) Bouteflika qui n’a pas la moindre idée de ce qui est la « bonne gouvernance » dans un Etat moderne, fut-il monarchique, dispose du pays comme d’une propriété privée, dépense sans compter, nomme et destitue selon son plaisir. Il est la négation même de l’Etat. Lui au pouvoir, c’est la certitude qu’aucun des graves problèmes que connaît l’Algérie ne sera réglé ni même abordé, que la crise politique qui est entrée dans sa dixième année ne sera pas rétablie que tout ce qui a été réalisé dans le passé sera emporté. .. »

 

Parmi les propositions faite par ce général, on a retenu celle-ci, car elle est essentielle à nos yeux : «  Seul un président de la République investi des pleins pouvoirs, civils et militaires, est en mesure d’élaborer et de faire appliquer un plan de sortie de crise, et seul un président  de la République issu d’un scrutin populaire, réalisé dans des conditions de transparence indiscutables, aura la légitimité et l’autorité nécessaire pour imposer une solution et initier des réformes en rapport avec les impératifs de la mondialisation. » (Le Matin du 15/04/2001)

 

Yves Bonnet, ex-patron du contre-espionnage français, auteur de « Lettre à une Algérienne »

 

Il a été parmi ceux qui ont applaudi « l’élection » de Bouteflika, mais qui a revu sa copie après la visite officielle de ce dernier en France, en juin 2000.

En voyant parler Bouteflika à l’hôtel intercontinental de Paris, devant une « assistance réduite à une portion incongrue » comme il dit, il émets de véritables doutes quant aux capacités réelles du président algérien. Il soupçonne ce dernier « de cultiver la nostalgie du temps passé, une nostalgie qui ne peut apaiser les souffrances d’un peuple (…) encore moins taire les cris de la rue ». C’est dans une publication du Figaro qu’Yves Bonnet expose son « nouvel » avis sur le président algérien. Il écrit noir sur blanc que Bouteflika « a largement échoué » et qu’ « il n’a pas le souffle de De Gaule », le qualifiant ainsi de simple « chef d’orchestre qui s’attarde à saluer son public ».

 

Mouloud Hamrouche : ancien premier ministre, candidat aux élections présidentielles de 1999

Dans une interview accordée au quotidien El Watan le 03-06-2001 :

 

El-Watan :L’arrivée de Bouteflika aux commandes du pays n’est-elle pas venue pour nourrir l’archaïsme que vous évoquez ?

 

M. H. :« L’arrivée de Bouteflika à la présidence est une conséquence du triomphe de l’archaïsme. A la faveur de la campagne pour la présidentielle de 1999, la société politique était devenue visible et lisible. Les forces de l’archaïsme ont réussi à étouffer cette société au profit d’un consensus opaque. Ni idéologique ni politique, ce consensus devait conserver le statut quo. Bouteflika a renforcé effectivement cet archaïsme. Il a néanmoins le mérite d’exacerber la contradiction entre le régime archaïque et une société ouverte ».

 

 

 

Mais est-ce que le départ de Bouteflika peut débloquer la situation politique ?

 

« Je ne crois pas que son départ constitue une solution. Mais toute solution qui va dans le sens de l’histoire passe par son départ. »

 

 

Justement, à travers cette volonté d’en finir  avec le pluralisme, n’y a-t-il pas une tendance dictatoriale chez Bouteflika ?

 

« L’arrivée de Bouteflika est l’aboutissement d’un mouvement des forces archaïques qui ont la mainmise sur le pays. Ce qui est grave, ce n’est pas la tendance à l’autoritarisme, c’est l’absence de projet. Bouteflika n’a aucun projet et le gouvernement n’est pas une coalition, mais un regroupement des forces de la régression. »

 

Khaled Ziari : ex-officier de la DGSN

 

            « L’Etat ne s’est pas apparemment attaqué aux raisons de la violence intégriste; au contraire le train bouillonne. De l’ère de Bouteflika, je ne retiens rien de positif puisque les terroristes se manifestent de manière plus affichée. Les citoyens peuvent se demander qui a le plus de moyens, l’Etat ou les terroristes. L’Etat devrait se pencher sur la qualité et non  la quantité, revoir sa stratégie, les procédés d’avant n’ont pas donné leurs fruits ». ( Le Matin du 8-11-2001)

                                                                               

                                                                                  A suivre.../...

 

 

Publié dans politique

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